ESMO 2025 – Session orale
Villejuif, le 18 octobre 2025
Prévenir le cancer avec des médicaments ? Retour sur 40 années d’essais cliniques.
Le Dr Alexandre Xu-Vuillard présente au congrès de l’ESMO les résultats de DRUGPREV, la première étude rétrospective d’envergure consacrée à la prévention médicamenteuse du cancer. Les chercheurs ont analysé de manière critique une centaine d’essais menés depuis 1980, qui avaient pour objectif d’évaluer l’efficacité de différentes molécules (vitamines, anti-inflammatoires, etc.) pour empêcher l’apparition de la maladie. Ces travaux ont permis d’identifier les approches efficaces, de tirer les leçons des échecs, mais également de proposer des recommandations pour guider le développement de futurs traitements préventifs. DRUGPREV offre un panorama unique de quarante années de recherche dans ce domaine encore largement sous-exploré, alors que le nombre de nouveaux cas de cancer déclarés chaque année dans le monde continue de croître.
Abstract n°2274O présenté à l’oral par le Dr Alexandre Xu-Vuillard le samedi 18 octobre à 15h30.
Cet oral figure parmi les 60 études au programme de cette édition 2025 de l’ESMO présentées par un médecin-chercheur de Gustave Roussy. Gustave Roussy est présent dans de nombreux champs d’expertise, témoignant de la qualité de la recherche qui y est menée, et de sa reconnaissance à l’international.
Chaque année dans le monde, près de 20 millions de personnes apprennent qu’elles sont atteintes d’un cancer, et 9 millions en décèdent, selon l’Organisation mondiale de la Santé. Des chiffres qui sont en constante augmentation, comme le souligne une étude parue en septembre dans The Lancet[1]. Les chercheurs du programme Global Burden of Disease indiquent qu’entre 1990 et 2023, le nombre de nouveaux cas à l’échelle mondiale a plus que doublé, quand le nombre de décès a augmenté de 74 %. Ils prévoient que d’ici à 2050, sans nouvelles mesures de financement ciblé, 30,5 millions de nouveaux cas seront déclarés chaque année, et 18,6 millions de décès enregistrés.
Face à ce constat, il apparaît essentiel de renforcer les programmes de prévention du cancer. C’est dans cette perspective qu’a été créée l’équipe Early Detection and Prevention Task Force, un groupe pluridisciplinaire européen rattaché à l’ESMO et dirigé par la Dr Suzette Delaloge, dédié à la recherche et à l’élaboration de recommandations pour orienter le développement de la prévention du cancer.
Le premier projet issu de ce groupe de travail, DRUGPREV, constitue la première étude rétrospective d’envergure consacrée aux essais cliniques de prévention médicamenteuse du cancer, ou chimioprévention. Les chercheurs ont pour se faire analyser une centaine d’essais cliniques menés sur plus de quatre décennies, afin d’en tirer des enseignements et de formuler des recommandations pour les futures stratégies de prévention.
Retrouvez les explications du Dr Xu-Vuillard en vidéo.
Des milliers d’essais passés au crible
Au cours des dernières décennies, les stratégies de prévention primaire du cancer se sont majoritairement concentrées sur la réduction de l’exposition aux agents cancérigènes — comme le tabac, l’alcool ou certaines infections. En revanche, très peu de médicaments ont été développés dans l’objectif de prévenir l’apparition du cancer (prévention primaire) ou de traiter des lésions précancéreuses (prévention secondaire), contrairement au développement massif de traitements destinés aux patients déjà atteints de cancer.
Selon l’analyse de l’équipe DRUGPREV, seulement 0,3 % de l’ensemble des essais cliniques randomisés en oncologie concernaient l’évaluation d’une molécule visant à prévenir le cancer.
Pour parvenir à ce constat, les chercheurs ont passé en revue des milliers d’essais réalisés en oncologie sur plusieurs décennies. Ils ont retenu les essais de phase III, c’est-à-dire la dernière étape avant une éventuelle autorisation de mise sur le marché, évaluant un médicament administré à des personnes saines ou à risque, dans un but préventif. Au total, 93 essais ont été identifiés, dont 91 inclus dans l’analyse statistique. Parmi eux, la moitié a démontré une efficacité significative de l’intervention médicamenteuse préventive.
Les résultats de DRUGPREV soulignent que le succès d’un essai repose largement sur la solidité des données scientifiques préalables, notamment les preuves mécanistiques précliniques et cliniques. Les essais internationaux de grande ampleur se distinguent également par un taux de réussite de 96 %, tandis que les études soutenues par l’industrie pharmaceutique affichent un taux de succès de 84 %.
La vaccination parmi les préventions les plus efficaces
Les chercheurs ont ensuite classé les essais selon le type de molécule évaluée. Premier constat : la grande majorité des essais portant sur les vaccins contre le papillomavirus humain (HPV) se sont révélés hautement efficaces pour prévenir les cancers liés à ce virus. Les traitements hormonaux, tels que le tamoxifène, ont également démontré leur intérêt, en réduisant significativement le risque de cancer du sein chez les femmes à haut risque. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), notamment l’aspirine, ont montré leur capacité à limiter la formation de polypes colorectaux dans plusieurs études. Toutefois, certaines études ont également mis en évidence une augmentation des risques chez les personnes âgées, notamment cardiovasculaires ou hémorragiques.
En revanche, les essais évaluant les vitamines et les compléments alimentaires n’ont pas démontré d’efficacité dans la prévention du cancer. Parmi les 38 essais concernés, 29 se sont révélés négatifs, et trois ont même mis en évidence des effets indésirables graves. C’est notamment le cas du bêta-carotène, associé à une augmentation du risque de cancer du poumon, et les associations comprenant la vitamine E, liée à une hausse du risque de cancer de la prostate.
Disposer de preuves scientifiques solides
De manière générale, peu d’essais de chimioprévention, même lorsqu’ils se sont révélés positifs, ont conduit à une utilisation en pratique clinique courante. Dans de nombreux cas, le rapport bénéfice/risque des molécules testées n’a pas été jugé suffisant pour justifier leur emploi en routine par les autorités de régulation. À ce jour, dans l’Union européenne, le vaccin contre le papillomavirus humain (HPV) demeure le seul médicament autorisé à visée préventive contre le cancer.
L’analyse souligne par ailleurs que la compréhension du mécanisme d’action du médicament dans la carcinogenèse, avant le lancement d’un essai, constitue le meilleur prédicteur de réussite. Les conclusions de DRUGPREV plaident ainsi pour le développement de molécules spécifiquement conçues pour la prévention, en plus du repositionnement de traitements existants. Enfin, elles appellent à l’élaboration de cadres méthodologiques harmonisés et préétablis, indispensables pour favoriser l’émergence de nouvelles stratégies préventives et leur intégration dans la pratique clinique.
« Notre analyse montre à quel point la prévention médicamenteuse du cancer reste un champ de recherche largement sous-exploré, surtout si on le compare à l’effort investi dans les traitements. En quarante ans, à peine 93 essais ont été menés, alors même que la mortalité par cancer continue d’augmenter dans le monde. Or, agir uniquement sur les facteurs de risque ne suffira pas : il faudra aussi développer des approches médicamenteuses de prévention. Nous espérons que ces résultats contribueront à stimuler de nouveaux programmes de recherche dans ce domaine encore trop négligé de la cancérologie », conclut le Dr Alexandre Xu-Vuillard, oncologue à Gustave Roussy.
Abstract n°2274O
Dissecting four decades of phase III randomised pharmacological interventions for primary cancer prevention to guide future developments - ESMO Early DEtection and PrevenTion Task Force.
Proffered paper session présentée par le Dr Alexandre Xu-Vuillard.
Samedi 18 octobre 2025 | 15h30.
[1]The global, regional, and national burden of cancer, 1990–2023, with forecasts to 2050: a systematic analysis for the Global Burden of Disease Study 2023 - Force, Lisa M et al. - The Lancet, Volume 0, Issue 0