ESMO 2025 – Session orale
Villejuif, le 19 octobre 2025
Quand le microenvironnement tumoral freine l’efficacité des thérapies par cellules CAR-T
Des chercheurs de Gustave Roussy et de CentraleSupélec ont étudié plusieurs dizaines de biopsies de patients atteints d’un lymphome diffus à grandes cellules B et traités par cellules CAR-T, pour comprendre pourquoi environ la moitié d’entre eux rechute quelques semaines après avoir reçu ce traitement innovant. Cette étude met en avant le rôle joué par le microenvironnement tumoral dans l’apparition de mécanismes de résistance face aux cellules CAR-T, et ouvre la voie à de nouvelles stratégies thérapeutiques pour contourner cette problématique.
Abstract n°LBA47 présenté à l’oral par Myriam Ben Khelil le dimanche 19 octobre à 15h30.
Cet oral figure parmi les 60 études au programme de cette édition 2025 de l’ESMO présentées par un médecin-chercheur de Gustave Roussy. Gustave Roussy est présent dans de nombreux champs d’expertise, témoignant de la qualité de la recherche qui y est menée, et de sa reconnaissance à l’international.
Les traitements par cellules CAR-T ont transformé la prise en charge de nombreux cancers hématologiques et sont actuellement en développement dans les tumeurs solides. Cette approche d’immunothérapie consiste à mobiliser le propre système immunitaire du patient pour s’attaquer au cancer, en lui prélevant des lymphocytes T, des globules blancs qui jouent un rôle clef dans la défense de notre organisme et qui ont la capacité de détruire les cellules tumorales.
Une fois prélevés, les lymphocytes T sont reprogrammés en laboratoire pour reconnaître les cellules cancéreuses grâce à un récepteur spécifique appelé CAR (Chimeric Antigen Receptor). Réinjectées au patient, ces cellules se multiplient et se dirigent vers la tumeur pour la détruire, même lorsque le cancer tente d’échapper au système immunitaire.
Le lymphome diffus à grandes cellules B est un cancer du système immunitaire qui se développe aux dépends des lymphocytes B, les cellules qui produisent les anticorps. Il représente le 6e cancer le plus fréquent et la 9e cause de mortalité par cancer en Occident. Les thérapies par cellules CAR-T sont notamment utilisées pour traiter les patients atteints d’un lymphome diffus à grandes cellules B lorsqu’ils rechutent après une chimiothérapie.
Bien que près de 50 % des patients bénéficient de cette approche thérapeutique et affichent une réponse complète, l’autre moitié des patients va rechuter dans les mois qui suivent. L’étude présentée au congrès de l’ESMO par Myriam Ben Khelil, ingénieure de recherche à Gustave Roussy, entend mieux comprendre les mécanismes de résistance responsables de ces rechutes, pour rendre les thérapies par cellules CAR-T plus efficaces pour un plus grand nombre de patients.
Retrouvez les explications de la Dr Myriam Ben Khelil en vidéo.
Des techniques d’analyse de pointe
Pour décrypter ces mécanismes de résistance, les chercheurs de Gustave Roussy et de CentraleSupélec ont analysé 80 échantillons tumoraux provenant de 55 patients atteints d’un lymphome diffus à grandes cellules B et traités par cellules CAR-T anti-CD19. Les analyses ont été réalisées à trois moments distincts : avant l’administration du traitement, juste après l’administration du traitement et au moment de la rechute. Grâce à une combinaison d’outils de pointe (immunohistochimie, cytométrie de flux, transcriptomique spatiale et séquençage unicellulaire), les chercheurs ont pu reconstituer la dynamique précise de la réponse immunitaire. Tous ces prélèvements ont pu être réalisés grâce au service de radiologie interventionnelle de Gustave Roussy.
Les résultats de ces travaux montrent d’abord que la résistance aux cellules CAR-T n’est pas liée à une mauvaise infiltration du traitement dans la tumeur, puisque les lymphocytes modifiés y sont bien présents après l’injection, et ceci même chez les patients qui ne répondent pas au traitement.
Les chercheurs ont également établi que dans certains cas, la rechute pouvait s’expliquer par le fait que l’antigène ciblé sur les cellules tumorales n’était plus plus exprimé. Cette situation demeure cependant peu fréquente (environ 15% des rechutes), ce qui montre que la perte d’expression de la cible n’est pas le mécanisme de résistance principal.
Le rôle du microenvironnement tumoral
Le microenvironnement tumoral constitue un vaste ensemble de cellules et de tissus, en contact plus ou moins étroit avec les cellules tumorales. Sa composition et son activité peuvent influencer l’évolution de la maladie.
L’étude révèle que, chez les patients non-répondeurs, les cellules CAR-T deviennent dysfonctionnelles sept jours après l’injection du traitement. Elles s’épuisent plus rapidement et leur capacité à s’attaquer aux cellules tumorales diminue. Ces altérations sont fortement influencées par le microenvironnement tumoral, qui joue un rôle d’étouffoir immunitaire.
Les chercheurs ont en particulier identifié une population de cellules myéloïdes, notamment des macrophages associés à la tumeur (TAMs) exprimant la protéine CSF1R et TREM2, présentes dans le microenvironnement tumoral. Elles sont plus abondantes dès le diagnostic chez les patients résistants et leur proximité avec les cellules CAR-T semble favoriser la perte en efficacité du traitement. La présence de cette population de macrophages pourrait, dans le futur, devenir un marqueur prédictif de non-réponse aux cellules CAR-T.
Les cellules myéloïdes forment une grande famille de cellules du système immunitaire, qui jouent habituellement un rôle essentiel pour reconnaître et détruire les cellules étrangères, mais aussi pour réguler la réponse immunitaire, y compris contre les cellules cancéreuses.
« Cette étude illustre la force des approches qui croisent plusieurs disciplines. Nos résultats montrent que la moitié des patients échappent aux CAR-T non pas parce que ces cellules ne parviennent pas à atteindre la tumeur, mais parce qu’elles sont neutralisées sur place par l’environnement tumoral. Comprendre ces mécanismes, c’est ouvrir la voie à des traitements combinés qui pourraient redonner toute leur puissance aux CAR-T », explique la Dr Myriam Ben Khelil, ingénieure de recherche à Gustave Roussy.
« En comprenant mieux comment l’environnement de la tumeur influence l’efficacité des cellules CAR-T, nous faisons un pas important vers des traitements plus personnalisés, si nous confirmons qu’il est possible d’identifier à l’avance les patients qui ne répondront pas au traitement. Pour ces patients il serait alors envisageable de combiner les CAR-T avec des traitements qui ciblent les macrophages pour améliorer l’efficacité. L’objectif, à terme, est de pouvoir adapter chaque thérapie au profil immunitaire du patient, pour redonner toute leur efficacité aux CAR-T », conclut la Dr Camille Bigenwald, onco-hématologue à Gustave Roussy et dernière auteure de l’étude.
Abstract n°LBA47
CAR T cell resistance in high-grade B-cell lymphoma is dictated by tumor-associated macrophages.
Proffered paper session présentée par Myriam Ben Khelil.
Dimanche 18 octobre 2025 | 15h30.